En France: deux courants dans le développement de l’hypnose.

L’âge d’or de l’hypnose en France, de 1882 à 1892, est marqué par les polémiques entre l’École de la Salpêtrière de Jean-Martin Charcot et l’École de Nancy de Hippolyte Bernheim.

jean martin Charcot

L’école de la Salpêtrière à Paris, dirigée par Charcot (1825-1893)

L’école de Nancy, représentée par Liébeault et bernheim

Charcot: l’hypnose comme pathologie propre à l’hystérie

 Les travaux de Braid intéressent le neurologue Jean-Martin Charcot, premier titulaire de la chaire de neurologie en France et médecin-chef à la Salpêtrière.

En 1876, il est membre d’une commission nommée par Claude Bernard pour étudier les expériences de métallothérapie du médecin Victor Burq. En 1878, il commence à étudier l’hypnose sous l’influence de Charles Richet. En 1882, dans son livre sur « les divers états nerveux déterminés par l’hypnotisation chez les hystériques », il réhabilite l’hypnose comme sujet d’étude scientifique en la présentant comme un fait somatique pathologique propre à l’hystérie.

Dans son livre, Charcot décrit les trois états du grand hypnotisme des malades hystériques qui seront immortalisés par les dessins de son collaborateur Paul Richer:

La léthargie, obtenue en pressant sur les paupières du sujet, durant laquelle le sujet reste inerte tout en manifestant une « hyperexcitabilité neuro-musculaire » (le moindre contact provoque une contracture) ;

 La catalepsie, obtenue en rouvrant les yeux du sujet (ou en faisant résonner un gong), durant laquelle le sujet prend les poses qu’on lui donne et « transfère » à volonté les contractures du côté du corps où l’on applique un aimant ;

Le somnambulisme, obtenu en frictionnant le sommet du crane du sujet, durant lequel le sujet vous parle et bouge normalement ;

Le sujet fait preuve d’une amnésie totale au réveil.

Ses travaux permettent à l’hypnose d’être reconnue par l’Académie de médecine.

Une leçon clinique de Charcot à la Salpêtrière

Enseignement de Charcot à la Salpêtrière : le professeur montrant à ses élèves sa plus fidèle patiente, « Blanche » (Marie) Wittman, en crise d’hystérie

Une leçon de Charcot à La Salpêtrière    tableau de André Brouillet (1857-1914)

Pour Charcot, l’intérêt pour l’hypnose est inséparable de la méthode anatomo-clinique, c’est-à-dire de l’identification des altérations anatomiques susceptibles d’expliquer les maladies nerveuses organiques.

Il a recours à l’hypnose dans une perspective expérimentale pour démontrer que les paralysies hystériques ne sont pas déterminées par une lésion organique mais par ce qu’il appelle une « lésion dynamique fonctionnelle » qu’il est possible de recréer sous hypnose.

Charcot n’utilise en revanche pas l’hypnose dans un cadre thérapeutique, pour tenter de « défaire » des symptômes qu’il avait d’abord provoqués de manière artificielle.

Dans les leçons 18 à 22 des Leçons sur les maladies du système nerveux, portant sur sept cas d’hystérie masculine, Charcot déclare que les symptômes hystériques sont dus à un « choc » traumatique provoquant une dissociation de la conscience et dont le souvenir, du fait même, reste inconscient ou subconscient.

Il pose là les bases de la théorie « traumatico-dissociative » des névroses qui sera développée par Pierre Janet, Josef Breuer et Sigmund Freud. Ces derniers, entre 1888 et 1889, entreprennent de « retrouver » sous hypnose les souvenirs traumatiques de leurs patients.

Parmi les collaborateurs de Charcot considérés comme les membres de l’École de la Salpêtrière, on compte notamment Joseph Babinski, Paul Richer, Alfred Binet, Charles Féré, Georges Gilles de La Tourette et Alphonse Dumontpallier.

Freud a suivi ses enseignements et a eu recours pendant un temps à l’hypnose et publie en 1891 « Psychothérapie pratique » ouvrage dans lequel il traite de l’hypnose avant de l’abandonner et de le regretter plus tard.

LIEBEAULT & BERNHEIM

Liébeault et Bernheim

En 1889, au premier Congrès international d’hypnotisme, ce sont les théories de l’école de Nancy qui sont retenues.

Ambroise Auguste Liébeault (1823-1904) héritier des imaginationnistes est médecin et s’inspire des travaux de Faria et de Braid.


En France, les travaux de Braid sont traduits, notamment par Joseph Durand de Gros, Alfred Velpeau, Eugène Azam et Paul Broca.

LIEBEAULT

Liébault


Le médecin français Ambroise-Auguste Liébeault, qui s’intéresse depuis de nombreuses années au magnétisme, lit les publications de Velpeau et Azam et publie en 1866 « Du sommeil et des états analogues » considérés surtout du point de vue de l’action du moral sur le physique.

Il y fait état de notions théoriques et pratiques largement proches de celles des magnétiseurs du courant imaginationniste tels l’abbé Jose Custodio da Faria, le médecin Alexandre Bertrand et le général François Joseph Noizet.

Sa technique consiste à demander au patient de le regarder dans les yeux pour fixer son attention. Puis il l’invite à dormir par des suggestions directives qu’il répétait:

(Lourdeur des paupières, sensation de somnolence, lenteur de raisonnement, isolement du monde extérieur…).

BERNHEIM

En 1884, le professeur de clinique médicale de la faculté de médecine de Nancy,

Hippolyte Bernheim (1840-1919) publiait un ouvrage intitulé :

« De la suggestion dans l’état hypnotique et dans l’état de veille », dans lequel il exposait la méthode de Liébeault et ses applications cliniques.

Bernheim

Bernheim: l’hypnose comme suggestibilité

Hippolyte Bernheim, né à Mulhouse le 17 avril 1840 et mort à Paris le 2 février 1919, est un professeur de médecine et neurologue français, célèbre dans le cadre de l’histoire de l’hypnose et de la psychothérapie.

Hippolyte Bernheim, commence à s’intéresser à l’hypnose à la suite de sa rencontre avec le médecin Liébeault en 1882. Il reconnaît ses méthodes et commence à les introduire dans son service d’hôpital universitaire.

En 1883, Bernheim effectue des expériences sur les suggestions criminelles avec le juriste Jules Liégeois et le médecin Henri Beaunis. Ces quatre hommes sont les fondateurs de l’École de Nancy.

Bernheim définit l’hypnose comme un simple sommeil produit par la suggestion et susceptible d’applications thérapeutiques.

En cela, il s’oppose à la définition de Charcot qui voit en l’hypnose un état pathologique propre aux hystériques.

En 1884, Bernheim définit la « suggestion » comme « l’influence provoquée par une idée suggérée et acceptée par le cerveau », puis en 1886 comme « une idée conçue par l’opérateur, saisie par l’hypnotisé et acceptée par son cerveau ». En 1903, Bernheim considère que l’on ne peut pas distinguer l’hypnose de la suggestibilité.

Il déclare « la suggestion est née de l’ancien hypnotisme comme la chimie est née de l’alchimie ».

Il abandonne progressivement l’hypnose formelle, soutenant que ses effets peuvent tout aussi bien être obtenus à l’état de veille par la suggestion, selon une méthode qu’il désigne du nom de « psychothérapie » avant de devenir l’hypnothérapie qu’on connaît aujourd’hui..

En 1907 il propose le concept d’« idéodynamisme », selon lequel « toute idée suggérée tend à se faire acte ». Pour lui, « il n’y a pas d’hypnotisme, il n’y a que de la suggestibilité ».

Toutefois l’hypnose moderne est le résultat des travaux de Bernheim qui a permis de résoudre des troubles psychologiques dans un état de semi-veille.

La polémique

Pour l’École de la Salpêtrière, « un individu hypnotisable est souvent un hystérique, soit actuel, soit en puissance, et toujours un névropathe.

C’est-à-dire un sujet à antécédents nerveux héréditaires susceptibles d’être développés fréquemment dans le sens de l’hystérie par les manœuvres de l’hypnotisation »

Charcot prétend décrire des « stigmates » fixes et non simulés chez les hystériques, en utilisant une hypnose elle-même conçue comme un « état » spécifique et objectivable.

À quoi Bernheim rétorque qu’on peut tout aussi bien, si on le désire, provoquer artificiellement ces manifestations chez des sujets non hystériques, ou bien encore provoquer chez les hystériques des manifestations tout à fait différentes. Bernheim montre également que l’amnésie post-hypnotique peut être facilement levée.

Les partisans de Charcot, de leur côté, soulignent que Bernheim, en expliquant l’hypnose par la suggestion, n’a en fait rien expliqué des causes du phénomène hypnotique.

Influences

Parmi les grands praticiens de cette période, qui seront à la fois influencés par les travaux de Charcot et par ceux de Bernheim, on compte notamment le Français Pierre Janet, le Belge Joseph Delbœuf, les Suisses Auguste Forel et Eugen Bleuler, les Allemands Albert Moll, Leopold Löwenfeld et Albert von Schrenck-Notzing, l’Autrichien Richard von Krafft-Ebing, le Russe Vladimir Bechterev, les Américains James Baldwin, Boris Sidis et Morton Prince, le Suédois Otto Wetterstrand et le Hollandais Frederik van Eeden.

Hypnose 1880

Le terme « hypnose », lui, apparaît en France vers 1880. Il désigne les diverses pratiques faisant usage de l’état hypnotique (hypnose médicale, hypnose clinique, hypnose légale, hypnose de scène).

Les apports les plus importants de l’école de Nancy sont :

  • L’intérêt thérapeutique de l’hypnose pour tous.
  • Le rôle des suggestions verbales
  • Le rôle de la relation établie entre le thérapeute et le patient
  • La profondeur de l’état d’hypnose (la transe n’est pas nécessairement somnambulique).
  • L’école de Nancy a évincé les théories de Charcot. Cependant, le caractère vu comme fantaisiste de stimuler l’imagination lui vaut d’être écartée.

Sauf avec Pierre Janet, l’hypnose ne sera plus étudiée ni utilisée en thérapie pendant plus d’un siècle.

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